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(Par Roger Gbégnonvi)
Selon le poète William Wordsworth, « L’enfant est le père de l’homme ». Enfant au sens latin de ‘‘infans’’, « le tout enfant qui ne parle pas encore ». Et si l’on oublie les influences de l’extérieur sur le fœtus, ce ‘‘tout enfant’’ serait le terrain de naissance de tout le caractère de la personne à venir. C’est donc environ durant les six premiers mois de sa vie hors du sein maternel que s’impriment sur l’ADN de l’enfant les traits majeurs de l’adulte.
Or le médecin béninois, fort d’autres spécialités dont celle de la psychologie, feu Paul Tobossi, disait en substance à ceux qui aimaient à l’écouter : « Comment voulez-vous que l’Africain se développe, s’épanouisse, soit inventif, conquérant ? Le Bébé qu’il fut était, la journée longue, accroché à sa mère dont il n’a vu tout le temps que le dos, son seul univers à l’orée de la vie, au moment précis où doivent s’ouvrir toutes les fenêtres de son cerveau pour laisser entrer les aurores de tout l’univers. Passé ce moment déterminant de grande réceptivité, les fenêtres non sollicitées du cerveau s’ouvriront difficilement plus tard et trop tard, pour celles qui s’ouvriront, pendant que d’autre resteront définitivement fermées. »
Et Paul Tobossi de prendre le cas de l’enfant européen. La plupart du temps, il est couché sur le dos dans un berceau, le regard tourné vers le regard de sa mère, qui lui fait des sourires, lui tend les bras, lui raconte mille et une histoires, n’a de cesse de le toucher, de le caresser. En haut du berceau sont suspendus des bibelots de couleurs variées. Ils dansent et tintinnabulent, et l’enfant s’amuse à les faire danser et tintinnabuler. Sollicitées, les fenêtres de son cerveau s’ouvrent. Cet enfant au berceau est préparé à s’épanouir, inventer, conquérir tous azimuts. Il est l’opposé diamétral du bébé africain dans le dos de sa mère.
Et il est vrai que ce dernier, devenu adulte, se montre plus stagnant qu’entreprenant. Et pas très responsable. Il décrète que les maux qui l’accablent résultent de l’esclavage et du colonialisme. Bien sûr, il n’imagine pas que l’incapacité des pères à repousser naguère ces deux malheurs a pu prendre racine en eux dans le dos sans étoiles des mères. Il ne cherche pas, il ne crée pas. Il ressasse les ancêtres, il rumine les rabâchés de l’école coloniale. Un jour peut-être, il s’apercevra qu’il y a honte et déshonneur à n’être que spectateur et parasite. Alors l’auto néo-colonisé se dressera et voudra exister enfin dans le monde en marche sans lui. Il croira frapper un grand coup, et cela donnera, choses entendues, ce décret : la sorcellerie, toujours et partout négativement connotée, a du bon en Afrique et va contribuer au progrès de l’Africain. D’ailleurs tous les grands scientifiques occidentaux sont des sorciers. Et de citer Pythagore pour étayer le violent renversement sémantique. Suffocation dans le rang des rationalistes. Car l’on ne sache pas que la sorcellerie africaine ait sauvé l’Afrique ni de l’esclavage ni de la colonisation. Car Pythagore, philosophe et mathématicien, Einstein, physicien de génie, étaient des scientifiques et pas des sorciers. Mais, Hitler et Pol Pot et leurs affidés, politiciens et pas scientifiques, sinistres artificiers de la radicale méchanceté de l’homme contre l’homme, peuvent bien être assimilés à d’authentiques sorciers. Dont acte.
Et fin de suffocation. Si la stagnation atavique de l’Africain n’a pas toute son origine là où la place le Dr Paul Tobossi, dans le regard immobile et voilé du bébé africain dans le dos sans étoiles de sa mère, alors que s’intensifie la vraie recherche pour dénicher les autres origines de la force d’inertie, afin que l’Africain cesse de « labourer la mer » (Bolivar) et sorte de l’impasse. Au jour de son dernier souffle, le professeur Jacques Monod, prix Nobel de médecine, confiait aux amis venus l’entourer : « Je cherche à comprendre ». Et c’est ce que doit faire maintenant tout Africain avant son dernier souffle. Conjuguer le biochimiste Monod et le poète Goethe, dont le mot ultime fut : « Mehr Licht », davantage de lumière.