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Le vieux médecin dans son cabinet au bord du Rhin voudrait savoir d’où vous venez. Le Bénin l’envoie au Nigeria à cause de Benin-City. Vous le ramenez au Bénin en passant par « l’ancien Dahomey ». Alors il se redresse : « Le pays du Vodun ? » Ces gestes deviennent-ils hésitants ? Il est fasciné : à la fois attiré et effrayé. Comme dans les pays limitrophes du Bénin quand d’authentiques Africains, apprenant votre provenance, voient en vous un dangereux manipulateur du Vodun, lequel est réputé redoutable. On a recours à lui pour régler les comptes au forceps dans un « contexte de méfiance toujours en éveil vis-à-vis des adversaires vrais ou supposés dont tout Indigène se croit menacé » (Paul Hazoumê). En 2017, le chef suprême Vodun à Ouidah confiait à l’envoyé de l’Express (n° 3468, pp. 36-39) que, la nuit venue, « des curés tombent la soutane pour nous consulter ». Car l’adversaire peut bien être un frère ou une sœur en religion. Pour vous protéger de lui ou d’elle, vous ne vous interdisez aucun chemin de salut au milieu du cauchemar de sauve-qui-peut généralisé.
Passe encore que l’on cherche à se protéger. Mais le cauchemar devient irréversible quand le Vodun, sans s’identifier à elle, se dégrade en sorcellerie, telle que justement définie par Nathanaël Yaovi Soédé : « Une pratique aux antipodes de la vie et de la vocation de l’homme. Elle dénature celui qui se voue à elle et en fait un meurtrier parce qu’il est facteur de mort. » Dans la langue de référence, ‘‘sorcier’’ se dit littéralement « mangeur de chair humaine ». Et il est vrai que dans « La guerre des choses dans l’ombre » (Gaston Zossou), il n’y a pas plus redoutable que la sorcellerie, puisqu’elle est « la solution finale ».
Or depuis quelque temps, il ne suffit plus aux Béninois de mettre sans cesse le Vodun aux trousses les uns des autres, il faut qu’ils plongent dans un étrange bain sadomasochiste au sein duquel ils voient partout d’authentiques sorciers. Une jeune dame, trentenaire, voit la main de son oncle (sorcellerie ?) dans la mort de son père, et elle conclut : « Je puis vous assurer que lui aussi n’en a plus pour longtemps à vivre. » Après son départ, dans son dos, ceux qui l’ont entendue sont unanimes : « Elle a la chose. Elle est sorcière. » Personne en tout cas n’est surpris que le frère ait tué le frère et que la nièce veuille se venger en tuant l’oncle. Belle ambiance. Voici un octogénaire. Chef de collectivité. Bon pied bon œil. Ne rate aucune occasion de rire et de faire rire. On tient pourtant à ce que vous sachiez qu’il a la chose : il est sorcier. Oui, c’est après avoir tué tous ses concurrents qu’il s’est installé sur le trône, et, bien sûr, il continue de tuer. Car tuer est la raison de vivre des sorciers, etc., etc.
L’on voit partout des sorciers. Des enfants participeraient désormais aux orgies lucifériennes, la nuit, au creux des baobabs. Jusqu’où va le mal déchaîné par l’homme contre l’homme ?
Le Vodun n’a pas le monopole de la terreur. On sait deux humanismes dégradés en Inquisition et en Goulag, alors même qu’en amont, ils n’avaient pas montré l’honnêteté machiavélique du Vodun. Leurs zélateurs les auront mis au service d’une idée de l’homme et non au service de l’homme. Instruits par leur décadence, les zélateurs du Vodun sauveront le Vodun en cessant de le tourner contre l’homme pour le mettre au service de l’homme. Révolution euclidienne, donc révolution possible. Humaniser le Vodun, c’est lui retirer sa propension innée à instaurer terreur et malheur, au point de banaliser au XXIème siècle le mal de la sorcellerie. Humaniser le Vodun, c’est lui prendre pour le porter à excellence, tout l’art qu’il inspire et qui est susceptible d’auréoler la vie. L’homme n’a pas besoin de cultiver la mort puisque la nature et les aléas de la vie (la mort est dans la vie) s’en chargent. Vivement donc le Vodun au service de l’homme et de la vie. Voici Aimé Césaire : « Il faut en demander aux nègres plus qu’aux autres ». Ils ont la vie à changer, leur existence à transfigurer.