Par Roger Gbégnonvi

 Qu’on se le dise – et il est un quarteron de députés pour le dire crânement en s’en félicitant presque – le Bénin aujourd’hui est potentiellement scindé en deux blocs, l’un agissant et plastronnant, l’autre subissant et gémissant. Des jeunes gens et jeunes filles, titulaires de quelque diplôme universitaire, ont imaginé de modifier leur identité formelle avant de s’inscrire à l’un de ces concours d’Etat auxquels on peut être déclaré admis sans avoir composé, pour peu que la consonance de votre nom vous classe dans le camp aujourd’hui triomphant. Quelques-uns de ces enfants désespérés seraient passés de l’intention à l’acte grâce à une batterie de complicités compatissantes et ingénieuses, tant il est difficile de se faire établir un jugement supplétif au nom de Souassabi quand l’acte de naissance – soigneusement cachée – vous fait naître Zanklangan. Mais l’on n’a pas d’emploi si l’on ne se rapproche pas nominativement, au moins, du clan qui tient maintenant le cordon de la bourse, le panier de pain et la clé de l’industrie beurrière.

 Et les deux Bénin s’observent, hargneux : le Bénin-maître savoure sa maîtrise et ne pense qu’à la conserver, heureux de ‘‘prendre enfin sa revanche’’ ; le Bénin soumis se désole de sa servitude et ne vit encore que grâce à l’idée de ‘‘prendre bientôt sa revanche’’. Entre le Bénin qui prend à présent sa revanche et le Bénin qui prendra bientôt sa revanche, la tension est de plus en plus forte et va éclater en 2016 au bout d’élections présidentielles aux résultats résolument contestés. Alors la division ne sera plus potentielle, mais réelle et consommée, chaque bloc décidant de rester chez soi, l’un pour continuer de maîtriser, l’autre pour en finir d’être maîtrisé. Cauchemar. Kafka en personne dans la maison.

 Et personne pour nous faire entendre raison et ramener la balle à terre, comme l’on dit vulgairement. Personne ! Car, au jour d’aujourd’hui, notre Cour Constitutionnelle s’est disqualifiée et n’est plus crédible, nos aînés, au sens de personnes-recours, ont perdu toute dignité à force de courir après titres et prébendes que le prince régnant sait leur donner à convenance. Aujourd’hui, le Bénin est sans autorité morale. Le cardinal Bernardin Gantin est mort. De vieux arrivistes l’invoquent encore pour instrumentaliser sa mémoire, s’en servir comme escabeau pour se dresser dans les sphères où l’on mange et boit et agrippe des sous. Triste sort que ce cet usage alimentaire et d’autopromotion qu’ils font de la mémoire du Cardinal. Le tréfonds des consciences hurle que le prélat ne mérite pas ce ravalement.

 Or donc voici venu le temps de la suppléance. Suppléance de la Cour perdue. Suppléance de la mémoire galvaudée. Le temps est venu pour que se lèvent des Béninois et Béninoises, autant désintéressés que de bonne volonté, pour constituer ensemble le nouvel ‘‘espace sacré’’ où convergent tous les regards en temps de désespérance collective et d’illusoire tentation de sauve-qui-peut. Car, à la recherche du bonheur, les Béninois ne sauraient se disperser ni aller vivre ailleurs qu’entre l’océan Atlantique et le fleuve Niger.

 Cela dit, la tâche de suppléance pour ramener l’espérance, décourager le repli sur soi et la fuite vers nulle part ne sera pas tâche aisée quand l’absence du lien lumineux de l’écriture transforme chaque ethnie en bantoustan isolé, proie facile à la portée sans frais de tout bonimenteur trop vite consacré par les siens ‘‘enfant du terroir’’. Lui sait lire et écrire peu ou prou, et aux siens enfermés dans le village mental il vendra toutes sortes de chimères politiciennes pour aller siéger quelque part en leur nom pour manger et boire sur leur dos.

 Mais en entravant la suppléance, les cyniques la rendent d’autant nécessaire. Alors haut les cœurs et qu’on se ceigne les reins ‘‘comme un vaillant homme’’, comme une mère-courage. Nous avons deux ans pour savoir dans quel mur nous allons afin de ne pas y aller. Nous avons deux ans pour refuser la division du Bénin. Mettons-nous au travail !

Roger Gbégnonvi

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