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Introduit dans les habitudes des populations dans les années 1997, le Naira, la monnaie nigériane, continue d’être utilisée pour les transactions commerciales à Ségbana, ville située au nord-est du Bénin, à la frontière avec le Nigeria. Ce phénomène observé dans la plupart des localités frontalières au Nigéria (Sèmè Kraké, Ifangni-Igolo, Owodé, Kétou-Ilara, et autres) a une ampleur considérable dans cette commune du département de l’Alibori.
Sur les 05 arrondissements que compte Ségbana, ville frontalière située à 500 km de Cotonou, au nord-est du Bénin, c’est la monnaie nigériane qui est utilisée sur une grande partie de la commune (centre ville, Liboussou et Libanté). Dans ces localités, les transactions ne sont pas aisées, si on ne dispose pas du Naira. Même le fonctionnaire après avoir perçu son salaire en franc CFA, se trouve obligé de le convertir en Naira avant de pouvoir effectuer des achats.
L’usage d’une monnaie étrangère sur un territoire explique le directeur de la promotion du commerce intérieur, Marius Konsago, est un phénomène observé dans les localités frontalières entre deux Etats qui ne partagent pas la même monnaie. Cela témoigne selon lui, « des relations de bon voisinage » et de « vivre ensemble » entre ces populations. Ces relations relève-t-il, impliquent des activités économiques et commerciales qui se déroulent pour la plupart dans un « cadre informel ».
Pour Boni Orou M. Zakari, responsable de la recette perception de Segbana, il s’agit d’une « anomalie qu’il faut corriger ». Outre l’aspect positif relatif aux rapports de bon voisinage entre les populations, il dénonce la présence de devises étrangères sur le territoire. Ce qui selon lui, n’est pas une bonne chose.
De l’avis du directeur de la promotion du commerce intérieur, « dans l’économie de la monnaie, la mauvaise monnaie chasse la bonne ». Une conséquence de la proximité et des échanges avec le grand voisin de l’Est.
Echanges commerciaux avec le Nigéria
A l’instar de plusieurs autres communes du Bénin, l’agriculture est la principale activité des populations de Segbana. Le coton, le maïs, le sorgho, l’arachide, le karité, le soja, l’igname et le mil sont les principales cultures développées. Du fait de la proximité avec le Nigéria, la majeure partie de la production est déversée dans ce pays à travers le marché de Samian dans l’Etat de Kebby.
Selon Moussa Mohamed, trésorier de la coopérative des producteurs de Liboussou, en dehors du coton, la majeure partie de la production est déversée sur le marché nigérian. Une partie du soja est également convoyée vers le pays, a-t-il ajouté soulignant que seule l’arachide intéresse les commerçants de la région méridionale du Bénin qui viennent par moment s’en approvisionner.
Cette propension des agriculteurs à déverser leur production vers le grand voisin de l’Est s’explique selon le paysan, par l’attitude des commerçants nigérians, ‘’peu exigeants’’ par rapport à la qualité et au prix. Ceux-ci selon Moussa Mohamed, « achètent à bon prix ». Ce qui n’est pas le cas avec les acheteurs venant de l’intérieur du Bénin.
Comment le Naira s’est introduit à Segbana
C’est en 1997 que le Naira est entré dans les habitudes des populations de Sègbana, fait savoir le maire Bio Tian Orou Zimé. Selon les explications de l’élu communal dans un entretien accordé à La Nation en novembre 2020, cette année-là, le coton avait connu un problème d’indisponibilité des insecticides à utiliser, et la récolte n’était pas bonne. « Le gouvernement ne payait plus le fonds coton à temps. Il se fait que, malheureusement, en cette période, le Nigeria a commencé à s’intéresser au coton », a-t-il rappelé évoquant la vente frauduleuse de cette culture en direction de ce pays. Outre la situation relative au coton cette année, il y avait également le marché de Samian qui a commencé par s’animer entraînant selon le maire, « la baisse du commerce intérieur ». Les populations préféraient aller vendre leurs productions dans ce marché du côté du Nigeria, et profitent pour acheter tout ce qu’elles peuvent ; ce qui leur a permis d’adopter la monnaie nigériane.
Les difficultés des fonctionnaires en poste à Segbana
Les problèmes rencontrés au cours des transactions financières à en croire les fonctionnaires rencontrées sont de deux ordres. D’une part, le problème de reliquat, et d’autre part, celui de la valeur de l’article avec les deux monnaies. En effet, pour un même article, l’achat avec le naira parait plus avantageux pour l’acheteur qu’avec le franc CFA.
« Pour avoir le reliquat, ce n’est pas du tout facile », confié Sango Yacoubou, technicien vétérinaire exerçant dans la commune. « Quand tu as ton CFA et tu achètes un article, pour trouver la monnaie, c’est tout un problème », a-t-il ajouté. De même, poursuit-il, pour un même article, le prix en Naira revient moins cher qu’en franc CFA. Ce qui, souligne le technicien vétérinaire, oblige à convertir le franc CFA en Naira afin de pouvoir effectuer aisément les achats.
Mesures d’incitation des populations à adopter le franc CFA
Bien qu’ayant adopté le Naira pour les transactions, les populations de Segbana ne rejettent pas le franc CFA. Il demeure pour elles, une monnaie précieuse. Si pour les transactions commerciales, elles font recours à la monnaie étrangère, dans le cadre des dépenses dans les services publics (hôpitaux, impôts, et diverses taxes et autres), c’est la monnaie de leur pays qu’elles utilisent.
En vue d’amener les populations à adopter totalement le franc CFA, les autorités communales et préfectorales procèdent à la sensibilisation.
La proximité du Nigéria est certes une opportunité, mais l’usage du franc CFA est une question de souveraineté, a confié l’ex préfet de l’Alibori, Mouhamadou Moussa, à l’occasion d’une tournée statutaire.
Selon le rapport d’impact du Naira sur l’économie béninoise de la Direction générale des affaires économiques (DGAE), « les corridors frontaliers sont quasiment imbriqués dans le Nigéria ». « Partout dans ces corridors frontaliers, la monnaie d’échange est le Naira et les transactions se font essentiellement en cette monnaie », précise le rapport.
Ces corridors selon la DGAE, sont « plus dépendants du Nigéria que du Bénin en termes de leurs besoins essentiels ». Ce qui explique la « forte dépendance » vis-à-vis du Nigéria, et constitue, « un canal de transmission des effets de conjoncture économique du Nigéria sur le Bénin ».
A en croire le chef de l’arrondissement de Liboussou, des mesures seraient en cours afin d’amener les populations de cette commune du Bénin à adopter le franc CFA. Adam Bachabi a évoqué entre autres, le projet d’installation d’un centre commercial à la frontière, et la construction d’une banque d’échanges. Ainsi, les commerçants venant d’un côté comme de l’autre, pourront échanger leurs devises avant de se rendre sur l’un ou l’autre des deux marchés (nigérian et béninois).
F. A. A.
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